Ce soir-là, à Sa Pa

Ce soir-là, Trung et moi avons dormi dans des hôtels séparés.

Trung nous avait une fois de plus conduits à un hôtel qui n’était pas chauffé. Et j’avais une fois de plus accepté d’y rester.

Une fois dans ma chambre, mon corps s’est effondré de fatigue. Il devait faire environ 10 degrés à l’intérieur. Prenant mon courage à deux mains, j’ai enlevé mon manteau et je me suis allongée. Sous les couvertures, mon corps tremblait de froid et mes dents claquaient.

Je suis alors rentrée dans la salle de bain et j’ai parti la douche. J’étais sauvée : l’eau qui sortait de la pomme était chaude. J’y suis entrée, me tenant debout, immobile sous le jet d’eau bouillante. Mais après cinq minutes, l’eau chaude s’est épuisée. Non seulement j’étais toujours frigorifiée, mais maintenant j’étais toute mouillée.

C’en était assez. Je n’allais pas dormir dans ces conditions une nuit de plus.

Pourtant, j’avais tellement peur de dire à Trung que je voulais une chambre chauffée. J’étais pétrifiée à l’idée de lui dire que ces conditions n’étaient pas acceptables. Et je ne savais pas comment lui dire.

Décidée à me trouver un autre hôtel, je me suis rhabillée. Trung était dans le lobby en train de discuter avec les propriétaires de l’hôtel, qu’il connaissait bien. En me voyant descendre les marches, il me dit : « Here, coffee for you ». Je me sentais comme une traître. Je me suis assise et j’ai bu le café en leur offrant un sourire coupable. J’ai essayé d’aborder le sujet, mais je n’en ai pas été capable. Puis, je me suis excusée, prétextant que je voulais voir le village avant la tombée de la nuit.

Je me suis enfuie comme une voleuse. Je voulais me trouver un nouvel hôtel avant le souper.

De quoi me sentais-je si coupable? D’abord, de ne pas avoir exprimé mon désir d’avoir une chambre chauffée. Puis, de ne pas avoir dit non à cet hôtel.

Lorsqu’on ne parvient pas à agir, on ne fait rien et on se sent coupable. La culpabilité, donc, est l’alternative à agir avec courage. Le courage d’assumer ses choix. Le courage de réaliser ses désirs.

Je possède une grande expertise à ne pas exprimer mes désirs. Je préfère vivre ceux des autres, ce qui est plus facile que d’assumer les miens. D’ailleurs, à emboîter les relations les unes après les autres pendant huit ans, j’en ai perdu toute notion de ce que je désire profondément.

Mon père ne voulait pas mourir. Il s’est battu contre la mort jusqu’à son dernier souffle. Il n’était pas prêt à ce que la fin arrive car il n’avait pas accompli tout ce qu’il voulait faire. Il aurait voulu terminer le doctorat qu’il avait commencé. Il aurait voulu faire un dernier voyage au Vietnam. Il aurait voulu marier son amour de jeunesse qui l’avait attendu pendant quarante ans. De son lit d’hôpital, il me racontait comment il accomplirait toutes ces choses une fois guéri. Devant la menace imminente de la mort, il lui devenait soudainement si facile d’avoir le courage de réaliser ses rêves les plus chers.

Je considère qu’il existe trois grands échecs dans la vie. Et ne pas vivre ses désirs constitue l’un d’entre eux.

C’est l’échec d’arriver à la fin du parcours pour réaliser qu’on voulait en suivre un autre. Celui de réaliser qu’on a vécu la vie de quelqu’un d’autre. Celle d’un parent à qui on a voulu plaire ou celle d’un conjoint qu’on a eu peur de perdre.

Les petits échecs font mal à l’ego et c’est pourquoi nous nous en éloignons facilement. Les grands échecs se perçoivent plus difficilement. Comme la grenouille dans le bocal d’eau chaude, il peut se passer beaucoup de temps avant de réaliser qu’on est en train de cuire.

Telle était la réflexion qui me traversait l’esprit alors que je me demandais comment annoncer à Trung que je voulais changer d’hôtel. Il m’apparaissait alors si difficile d’exprimer ma simple volonté d’avoir une chambre chauffée.

Mais réapprendre à vivre mes désirs allait commencer par ce petit geste.

7 thoughts on “Ce soir-là, à Sa Pa

  1. Au dernier voyage, j’ai découvert que les Vietnamiens du nord ont un meileur caractère que le sud du à la souffrance, pauvreté ou du climat rude. Ils sont habitués à vivre dans la misère. Si tu ne te sens pas bien alors n’hésites pas à demander de l’aide pour avoir un peu de confort ou de réconfort. Il suffit de demander une chaufferette dans la chambre et on la trouvera. N’oublie pas que c’est toi le client. Une bonne nuit de sommeil est essentielle pour repousser les risques d’accident d’inattention en moto. Pas droit à l’erreur! Y-a encore du chemin à faire. Manger beaucoup de soupe pour te réchauffer. À Hanoi, arrête toi au buffet SEN (lotus) pour te régaler pour moi.
    Je te donne l’adresse de Lenny (Long Tran): lennytranvn@yahoo.com ou lennytran@svninternational.com d’où je souhaite que tu lui contacteras. Il était de la Californie et il a décidé de retourner vivre au VN. On l’a connu depuis 1975 et on le considère membre de la famille donc une personne de confiance absolue. Il connait tout le monde, je veux dire toutes sortes de bon monde du pays. Avec ta permission, je vais lui écrire pour vous mettre en contact!
    Ne lache pas belle-soeur! C’est l’expérience de ta vie! Can’t wait to read your next blog! Xoxo…

    • Très beau post. Je suis toujours un peu sans mots lorsque papa traverse tes lignes d’écritures, j’imagine que c’est une bonne chose…

      Bonne suite, je t’appelle bientôt !

    • Merci Truc, c’est très gentil! Je ne sais pas si j’aurais besoin de le contacter – pour le moment, tout va bien. J’ai plusieurs personnes ressources pour m’aider en cas de besoin au Vietnam.

  2. Une phrase que j’ai apprise au Vietnam: il n’y a rein a perdre, il s’agit de demander. Au pire, on aurait un “non” comme réponse.

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